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Qu'est-ce que le Manichéisme?

 

"Pour les manichéens, le monde dans lequel on vit est ce temps médian du combat entre les principes de Bien et du Mal. [...] La lumière se trouve enfermée dans les ténèbres, le but est de la libérer pour la faire remonter."

- Anna Van Den Kerchove

Au IIIème siècle, alors que l'empire perse sassanide a pour religion d'état le zoroastrisme, une église au dogme énigmatique par son syncrétisme assumé et idéologies radicales apparaît.

Cette dernière a pour déité un homme prénommé Mani, qui se proclame réincarnation de Bouddha, Zoroastre, Jésus et Adam: il se définit comme l'ultime prophète envoyé par Dieu. L'église manichéenne sera formée de ses mains, caractérisée par un éclectisme fort : un mélange des croyances du zoroastrisme, judaïsme, bouddhisme, brahmanisme et christianisme, tout cela sur un plan parfaitement dualiste, ne comportant que le bien et le mal.

Nous aborderons alors le parcours de son créateur Mani, ses inspirations, le dogme et le culte de l'église manichéenne, ainsi que l'expansion et la disparition progressive de cette dernière à travers les âges.

 

Mani, dit “le Babylonien”, naît en l'an 216 au sein de l'empire perse sassanide, en Babylonie du Nord (actuel Iran), près de Bagdad, dans le village de Mardinu.

 

A quatre ans, il se convertit avec son père au Baptisme Elchasaïte, un mouvement sectaire chrétiens baptiste, qui subsistera jusqu'au Xème siècle dans cette région, se caractérisant par une observance stricte du mode de vie prescrit par la Torah et ses règles.

Il dit avoir reçu ses premières révélations de Dieu à l'âge de treize ans, par un ange ayant son apparence, son jumeau célèste qu'il surnommera "yamag roshan", "jumeau brillant" en parthe. Il commencera alors à contester le baptisme, et finira par quitter cette communauté à 24ans, pour prêcher sa propre église, le manichéisme.

Il s'adresse aux foules en tant que dernier interprète eschatologique de Dieu (en reprenant le rôle que s'attribue Jésus Christ), avec un message destiné au monde entier (et non seulement une communauté, il est donc en rupture avec le judaïsme, le brahmanisme, zoroastrisme mais reste sous le joug du christianisme), un message universel.

Mani part prêcher d'abord à Ctésiphon, la capitale de l'empire perse sassanide, puis en Inde, où il découvre le bouddhisme: il ajoute alors la figure de Bouddha à son éventail. Deux ans après, il sera reçu à la cour du roi Shapur 1er, qui se convertit lui-même et encourage la pratique du manichéisme dans l'empire.

L'auto-proclamé prophète met alors en place le dogme final de son église par neuf ouvrages, dont son propre évangile, et envoie des missionaires en actuel Irak, Egypte, Inde et dans la Pénisule Arabique. Mani voyagera beaucoup, rencontrera diverses communautés.

Cependant en 273, le roi Bahram succède à son père Shapur. Influencé par le clergé zoroastre de l'empire, il proscrit le manichéisme pour rétablir le zoroastrisme comme religion d'état, et reproche à Mani les reconversions de vassaux du roi.

 

Mani refuse d'obtempérer, ce qui lui sera reproché au tribunal en 277. Il est torturé, puis meurt alors la même année d'affaiblissement en prison, chargé de six lourdes chaînes, à la suite d'une longue agonie de 26 jours (du 31 janvier au 26 février 277).

 

Son corps est selon la tradition décapité, sa tête est exposée à l’une des portes de la capitale.

 

Néanmoins comment, malgré les différences fondamentales entre les différentes religions à son origine, le manichéisme a pu s'articuler en un seul et même dogme?

 

Penchons-nous alors sur les croyances et le culte manichéen pour répondre à cette question.

 

En effet, Mani se proclame à la fois une réincarnation de Zoroastre (du zoroastrisme), de Bouddha (du bouddhisme et brahmanisme: Bouddha est dans l'hindouisme la neuvième incarnation, "avatar", du dieu Vishnou), de Jésus (du christianisme), et d'Adam (du judaïsme).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le monde spirituel serait selon lui divisé en deux royaumes opposés: celui de Lumière, où Dieu se trouve, et celui des Ténèbres, pour Satan (rappelant les principes que prêche Jésus, ainsi que Yahvé dans Lévitique).

 

Il n'existe pas de zone d'ombre entre les deux, et aucun ne peut être anéanti, car ils constituent l'équilibre naturel parfait (idée retrouvée dans le bouddhisme et brahmanisme). Une relation très intime avec Dieu comme avec Satan est alors établie.

 

L'histoire de l'humanité en cet équilibre est divisée en trois temps :

- Le stade antérieur : Bien et Mal sont dissociés

- La création de l'homme : ces deux sont désormais confondus, mélangés; le monde est confus et instable. Le rôle du manichéen est donc de re-séparer ces deux royaumes en devenant parfaitement bon (renier tout mal en lui pour amplifier le bien).

- Le stade final: retour au stade initial, séparation dualiste des deux entités.

 

Afin de devenir parfaitement bon, le manichéen souhaite donc délier son corps céleste de son corps terrestre, marquer une rupture entre l'esprit et la matière. Il croit alors en un idéal pur, accessible aux Hommes directement sur Terre (faisant écho à la pensée zoroastre, brahmaniste, bouddhiste, juive, aux branches plus ésotériques du christiannisme tel les chrétiens gnostiques mais non au christiannisme dit "classique" en occident, où justement l'homme est foncièrement pécheur, ce qui marque un contraste avec un idéal n'ayant jamais péché, Jésus).

 

Puis après la mort, l'homme a deux issues possibles :

soit la séparation s'est faite, son âme va donc au royaume de la Lumière

(l'idée de récompense divine : message de Jésus, branche du judaïsme acceptant

les livres sapientiaux et prophétiques, zoroastrisme); soit, si la séparation ne s'est pas faite,

il renaîtra en un autre corps terrestre et devra continuer son cheminement jusqu'à ce que dissociation soit faite

(idée de la réincarnation venant du brahmanisme et bouddhisme).

 

Mais comment devenir pur selon l'Église manichéenne? Comment séparer son âme de son corps? Le culte manichéen le permet.

 

Ses membres y sont séparés en deux groupes: les "auditeurs" et les "appelés".

 

Les auditeurs constituent les fidèles de l'église. Certaines règles leurs étaient propres, telle la prière quatre fois par jour (selon la position du soleil, comme dans le brahmanisme), faire l'aumône (1/7ème de ses biens), des jeûnes réguliers et chaque lundi la confession, devant les élus.

 

Les appelés dévouent entièrement leur vie à l'église, chargés pleinement du salut. Une hiérarchie est alors établie parmi ces derniers, avec des prêtres, évèques, apôtres, etc. (copie du modèle catholique). Aucune contrainte de genre cependant : les femmes peuvent le devenir.

 

Leurs commandements sont classés en trois catégories: les 3 sceaux.

 

- Sceau de la main : la restriction de gestes pouvant briser une vie (animal ou humaine) (écho au bouddhisme et brahmanisme, opposition avec le christianisme et judaïsme, où les Hommes se doivent de dominer la Terre et ses animaux, c'est un ordre divin).

- Sceau de la bouche: la discipline de la parole (s'interdire quelconque paroles haineuses), une alimentation végétarienne et sans alcool (retour de l'influence hindouiste; opposition au christianisme et son vin devenant sang de Dieu par transsubstantiation).

- Sceau du sein : abstinence sexuelle et rejet de toute concupiscence.

 

Leur devoir est de montrer l'exemple, en réduisant toute forme de matérialisme, car la matière est mauvaise et pervertie, mais contient la lumière de la vie humaine, et des éléments divins : l'eau, l'air, le feu (principes provenants du judaÏsme et zoroastrisme, toujours significatifs de nos jours notamment dans certains rîtes funéraires zoroastriens : les cadavres sont placés sur des "tours du silence", où ils se décomposent et sont dévorés par des charognards délibérément, pour ne pas risquer de souiller les éléments divins: l'eau, le feu, la terre).

 

Ils se laissent poussez les cheveux (parallèle à Nombres 6:2-5, où Dieu dit à Israël "Lorsqu'un homme ou une femme se séparera des autres en faisant voeu de naziréat, pour se consacrer à l'Eternel,[...] le rasoir ne passera point sur sa tête;[...] il laissera croître librement ses cheveux."; opposition à certaines pratiques brahmaniste, bouddhiste, voir catholique, où les dévots se rasent le crâne soit par principe d'anbandon de sa superficialité, soit pour en faire offrande aux dieux.), s'habillent en blanc, retranscrisent et étudient Mani: sa vie et les neuf livres qu'il écrivit ou réécrivit (son Évangile, le livre du Shabuhragan, du Trésor, des Mystères, des Légendes, de l'Image, des Géants, aussi présent dans la Bible éthiopienne, des Lettres, puis Psaumes et Prières). De même, ils prient et chantent sept hymnes par jour.

 

En suivant à la lettre ces derniers, l'Homme atteint une excellence divine en séparant son corps céleste, saint, de son corps charnel, dépravé.L'essor et le déclin d’adeptes à travers les âges sera justifié par le contexte historique.

 

Le IVème siècle est marqué par son expansion en Afrique du Nord, territoires appartenant à l'Empire Romain. La littérature manichéenne est traduite en de nombreuses langues (par les élus scribes, notamment en copte, grec, et latin) facilitant la transmission du dogme.

 

Les empereurs romains Dioclétien (244-311), Valentin 1er (321-375) et Théodose 1er (347-395) font des édits d'interdiction du manichéisme: répression, les croyants sont arrêtés, exilés, exécutés. Cette persécution dure jusqu'à l'empereur Justinien 1er (482-565). L'église manichéenne disparaît de l'Europe graduellement.

 

La chute de l'empire sassanide de 637 suite à la prise de Ctesiphon par les mususlmans d'Arabie marque le début d'une cohabitation entre le manichéisme et l'islam. Le pontificat suprême manichéen est déplacé à Bagdad.

 

Le calife abbasside Abdullah al-Mahdi décrète nonobstant en 782 de mener des persécutions. L'église manichéenne péréclite alors en la région du Samarqand, qui deviendra son foyer.

 

Cette dernière se tourne de même vers la Chine, s'adaptant avec les récits mythologiques du Bouddhisme Chinois par une mise en lumière du caractère Bouddhiste du manichéisme (sa place prend plus d'importance). Entre le VIIème et XIIIème siècle, il se répendra jusqu'à Taïwan. L'empereur Tang Wuzong l'interdit en 845 ; son successeur Tang Xuanzong l'amnistie. Le manichéisme s'estompe progressivement jusqu'au XIIIème siècle. Le dernier temple manichéen au monde est celui de Cao'an en Chine.

 

Durant alors un millénaire le manichéisme se transmit dans le continent indo-européen, et sut tisser un dogme cohérent à partir des religions majeures de son temps.

 

Le terme manichéisme par ailleurs définit de nos jours par glissement sémantique un point de vue parfaitement dualiste, en “noir et blanc”, d'un élément, en référence à la vision de l'église manichéenne du monde par l'opposition en tout du bien et du mal. 

Joanna

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