Le dernier peuple autochtone d’Europe : les Samis

Trois femmes Sami, circa 1890
Dans les hautes montagnes de Laponie, avant l'arrivée des peuples Germaniques, une culture habitait déjà ces contrées enneigées. Établis depuis au moins 7800 avant notre ère, les Samis sont désormais la dernière population autochtone d’Europe. Ils parlaient autrefois onze langues finno-ougriennes, toutes réunies sous l'épithète de “langue sames”, ou Saami, bien que mutuellement inintelligibles. Aujourd’hui, neuf seulement sont encore en usage. La population Sami d’aujourd’hui est estimée à environ 85 000 personnes, dont la moitié environ réside en Norvège.
Nomades et chasseurs-cueilleurs, leur mode de vie traditionnel suit le rythme des rennes qu’ils élèvent. En hiver, ils font route vers la mer baltique, région forestière, puis en été, lorsque les moustiques et la chaleur reviennent, ils remontent vers les montagnes, parcourant jusqu'à 500 km.
Leur territoire, souvent appelé Laponie, s'étend sur quatre pays: la Norvège, la Suède, la Finlande et la péninsule de Kola russe. Pour les Samis, cette terre s’appelle Sápmi.
Ces peuples sont parfois appelés “Lapons”, terme péjoratif, issu de la racine lapp, qui signifie “porteur de haillons” en Suédois. En effet, les Samis ont longtemps subi une persécution par les gouvernements scandinaves.
Si les premières tribus germaniques arrivent sur la péninsule en 3000 avant notre ère, elles demeurent longtemps limitées au Sud de celle-ci, n'interagissant donc pas avec les Samis. Ce n’est qu’au IXème siècle que les Vikings se mettent à explorer les terres Sápmi.
Tandis que les royaumes de Norvège, de Suède et du Danemark se christianisent du Xème au XIIème siècles, les Samis, eux, maintiennent leurs croyances ancestrales. Celles-ci sont centrées sur des chamans, appelés noaidi, capables de faire le lien entre les mondes physique et spirituel.

Carte de la Fennoscandie
Pour se faire, ils chantent le joik, un chant censé mettre en transe le noaidi. Cet air guttural est perçu comme démoniaque par les Vikings nouvellement chrétiens.
Les royaumes germaniques et les peuples Samis cohabitaient ainsi pendant des siècles. Mais dans les années 1630, le territoire Sápmi finit par intéresser l’Etat suédois, qui était alors la grande puissance scandinave, lorsqu’il y trouva un gisement d’argent près de la montagne Nasa. S’ensuivit un processus de colonisation; les autorités suédoises imposèrent un système de corvée aux Samis. Ceux-ci devaient donc fournir un travail non rémunéré dans les mines de Nasa pour la couronne suédoise: un système de taxation non pécuniaire qui dura jusqu’en 1659.
Sous le Royaume suédois, les Samis perdirent un grand nombre de terres en raison de leur appauvrissement, lui-même causé par la taxation lourde imposée sur leurs ressources—la peau de renne, par exemple. Sous le Royaume de Norvège, en revanche, ils pouvaient librement commercer tant bien avec les Norvégiens que les Russes, même si leur culture et leur religion subirent des tentatives d’effacement aux mains de missionnaires luthériens danois ou orthodoxes russes.
Au cours du XIXème siècle, le peuple Sami devint de plus en plus minoritaire, et les Etats norvégiens et suédois avaient des velléités d’amoindrir leur présence. En 1889, après une montée du nationalisme norvégien, une loi interdisant l’usage des langues sames à l'école, sauf si strictement nécessaire, fut passée. Elle s’ancra dans un processus plus global de norvégianisation. Ceci eut des conséquences assez importantes pour les élèves sames, pour qui le Saami était la langue maternelle, et parfois même la seule langue qu’ils parlaient couramment.
“Notre professeur parlait Saami et Finnois.
Il avait été éduqué à l'école à Lakselv.
Quand il allait à l'école, ils avaient des manuels bilingues.
Sami et Norvégien.
Il nous parlait Saami à la fois dehors et à l'école
Mais nous devions apprendre à lire le Norvégien.
Nous apprenions les chiffres.
“Fire” (quatre) et “fem” (cinq) disait le professeur.
C'était difficile de comprendre le sens.
Le professeur dit que cela signifiait “njeallje” et “vihtta”.
Alors nous avons compris.”
(Témoignage de Hans Hansen, 1923, élève à Porsanger, région à l'extrême-nord de la Norvège continentale.)
Le XXème siècle consolida cet effacement volontaire de la culture Sami. La Norvège, indépendante depuis 1905, fit de grands efforts pour développer le secteur agraire du nord du pays, et y installer de manière plus proéminente la culture nationale, au détriment des peuples autochtones. Il y avait un élément de racisme également, les Samis étant vus, tant par les Norvégiens que les Suédois, comme des peuples primitifs, inférieurs.
Dans la première décennie du XXème siècle, l’Etat norvégien passa une loi ordonnant que quiconque voulant acheter des terres au Finnmark, une région ancestrale des Samis (dont le nom porte d’ailleurs la racine “Finn”, qui signifie “Sami” en vieux norrois) devait passer un examen de langue norvégienne. Une loi de fait discriminante, puisque souvent, les Samis ne parlaient pas le norvégien couramment.
En 1919 eut lieu la Convention du Pâturage des Rennes entre la Suède et la Norvège, qui restreignit les droits des Samis du nord concernant leurs pratiques nomades, et leur interdit l'accès à certains territoires. Par conséquent, environ 400 Samis furent déplacés de force vers le sud du pays, avec des dizaines de milliers de rennes. Les résistants étaient punis par la loi. Ce déplacement créa des tensions ethniques entre les différents groupes Samis; ceux qui vivaient déjà dans le centre du pays se sentaient en quelque sorte envahis par ces Samis du Nord, qui ne parlaient pas la même langue qu’eux et n’avaient pas les mêmes coutumes.
Ce traitement inique fut largement justifié, premièrement, par la critique des cultures sames et de leur religion, perçues comme non adaptées aux temps modernes. Mais un facteur décisif concernant la construction de cette hostilité fut le racisme scientifique. Afin de l’expliquer, il faudra remonter dans le temps.
Johannes Schefferus, intellectuel humaniste suédois, publia Lapponia en 1673, un ouvrage dans lequel il posa son hypothèse sur l’origine des Samis. Il y déclara que les Samis ne pouvaient pas être de même origine que des Suédois, “Quand rien n’est plus différent qu’un Lapon ne l’est d’un Suedois,” ajoutant qu’ils ne pouvaient provenir ni des Russes, ni des Norvégiens. Il en conclut donc que le plus probable était que les Samis soient descendus des Finlandais, en raison de la similarité entre leurs langues (le Finnois est une langue finno-ougrienne, comme les langues sames) mais aussi car les deux peuples étaient similaires : “Les Finlandais ont les cheveux noirs, les visages larges et des expressions sinistres, tout comme les Lapons.” Sa théorie fut largement acceptée, et le mépris envers les Samis ne fit que croître.
Un siècle plus tard, Johann Friedrich Blumenbach, physicien, anthropologue et physiologiste allemand, ajouta à cette théorie. Il est largement considéré comme le fondateur des classifications raciales entre humains. (Mais contrairement à un large nombre de ses contemporains, il ne croyait pas en une hiérarchie des races, et s’opposait farouchement à l’esclavage.) Il sépara l'humanité en cinq races qu’il voyait comme égales, ayant comme bases la forme du crâne et, dans une moindre mesure, la couleur de peau. Selon sa conception, tous les locuteurs des langues finno-ougriennes appartenaient à la race dite mongole. Les Samis et les Finlandais furent donc placés dans ce groupement. Les Germaniques étaient placés dans la race dite caucasienne.
Cette classification fut très longtemps acceptée; ce n’est qu’au XXème siècle, 200 ans plus tard, qu’elle fut réellement disputée. L’un des scientifiques qui a le plus contredit cette classification des Samis et des Finlandais comme “mongoloïdes” est K. B. Wiklund, linguiste suédois. Il n’était pas d’accord avec l’idée que les Finlandais et les Samis se ressemblaient, disant que les Sami “sont, en termes anthropologiques, aussi différents des Finlandais que des Nordiques.” (Ici, l’anthropologie signifie l’anthropologie physique, soit l’étude des traits phénotypiques, une science très répandue à l'époque.)
Selon lui, c’était commun pour un Sami d'être de petite taille et d’avoir une petite tête, d’avoir les cheveux et les yeux foncés, et un menton fuyant. Il pensait que les Samis étaient phénotypiquement uniques, et en conclut que la “race Laponne” avait émergé par une longue isolation vis-a-vis des autres groupements humains. Il expliqua cette isolation en utilisant la culture Komsa, une culture de chasseurs-cueilleurs datée à 10 000 ans avant notre ère, dont des traces archéologiques furent découvertes en 1925 dans le nord de la Norvège. Pour Wiklund, cette culture était composée des ancêtres des Samis, qui avaient été isolés en raison de l'Âge de Glace.
L’étude des Samis gagna tant de popularité à cette époque qu’il y eut certains incidents de membres de l’Institut d’Etat de Biologie Raciale, un établissement de recherche sur l’eugénisme à Uppsala en Suède, qui pillaient des tombeaux de Samis pour étudier leurs cadavres !
En bref, les théories sur l’origine des Samis furent multiples et différentes. Certaines les disent mongoloïdes, d’autres européens. A présent, passons la pseudoscience, et abordons la biologie. Que nous indiquent les gènes sur les origines de ce peuple ?
Premièrement, il y a ce qu’on appelle le motif Sami, un groupe spécifique de mutations présent chez un tiers des Samis modernes ; ceci confirme le lien génétique entre les différents peuples sames, et peut être interprété pour soutenir la théorie de l’isolement pendant l’Age de Glace.
Cependant, les Samis et les Finlandais partagent une grande partie de leur patrimoine génétique; ils auraient donc étés inclus dans cet isolement. D’ailleurs, alors que pendant des siècles, on pensait que les Samis étaient descendus des Finlandais, des recherches plus récentes ont conclu que c’était plus probablement le contraire.
Concernant l'hypothèse selon laquelle les Samis et les Finlandais seraient, à l'origine, des peuples asiatiques, les chercheurs ont fait plusieurs découvertes qui peuvent nous aider à répondre.
L’ADN mitochondrial, ou mtADN, est un ADN qui ne peut être transmis que par la mère. C’est un outil astucieux pour les recherches sur la génétique des populations, car en plus d’indiquer le patrimoine génétique d’un individu, il peut également être daté.
Deux types de mtADN communs chez les Samis, les haplogroupes U5b1b et V, proviennent probablement, selon des recherches récentes, d’Europe occidentale. Les Samis sont donc bien en partie génétiquement européens.
Une étude suédoise de 2007 a observé qu’un type de mtADN, l’haplogroupe Z, est présent en Asie Orientale, en Sibérie, en Asie Centrale et, bien qu’en faible densité, chez les Samis. Ceci suggère des relations entre les populations asiatiques et les Samis, datées à environ 2700 ans avant le présent.
Également, près de 50% des chromosomes Y des Samis contiennent l'allèle TatC, commun à la plupart des populations finno-ougriennes et sibériennes. C’est une variante fréquente chez les Iakoutes et les Bouriates, deux peuples sibériens orientaux, mais elle est quasiment absente en Europe occidentale et méditerranéenne. Environ 4 à 8% de Norvégiens et de Suédois portent cet allèle.
En conclusion, l'étude de la génétique des peuples sames nous indique qu’ils proviennent probablement d’une migration assez récente de l’Asie du Nord, et qu’ils ont entretenu des relations avec d’autres peuples, eux-mêmes européens. Leur singularité génétique est probablement le résultat d’une isolation vis-a-vis des populations étrangères. Même si l’on ne soutient pas le modèle de Wiklund de l’isolement préhistorique total, théorie impossible, puisque les Samis sont, justement, issus d’une migration, il ne faut pas oublier que, pendant très longtemps, les Samis étaient considérés comme socialement et biologiquement différents des Norvégiens et des Suédois. Par conséquent, l’endogamie aurait été une pratique habituelle.
C’est ce qui constitue leur unicité: un peuple entre deux mondes, entre Occident et Orient, entre tradition et modernité. Un peuple qui a surpris, bouleversé, fasciné. Même jusqu'à aujourd'hui.
A. Jochimsen
BIBLIOGRAPHIE ET RÉFÉRENCES
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ANNA
















